La sociologue-objet

......Austère volupté : je viens de lire les quatre colonnes que me consacre dans le journal Le Monde, Catherine B. Clément, maître-assistant de philosophie à l'université de Paris I et membre du comité de rédaction de la Nouvelle Critique, mensuel culturel du Parti communiste français.

......Me voici donc classée : archétype d'une bourgeoise colonialiste, désœuvrée et voyeuse, objet passif et pourtant complice d'une publicité pour nantis qui veut abrutir les masses pour mieux les domestiquer. La religion ayant perdu ses vertus stupéfiantes, c'est le sexe aujourd'hui qui fournirait son opium au peuple.

......Et moi, pauvre femme, femme d'intérieur qui s'ignore, moi, dont le " philosophie est confuse ", contrairement à celle de Catherine B. Clément qui n'est que trop claire, je photographie l'amour dans le beau monde pour éblouir les classes laborieuses tout en impliquant que le luxe de mes partouzes de bonne compagnie n'est pas à la portée de leur bourse.

......Dans un amalgame bien connu des bons élèves de Staline, un film dont je ne suis pas l'auteur, une publicité qui m'échappe et des citations tronquées de mes écrits, sont accommodés par Madame Clément à une sauce marxiste où je retrouve davantage le vinaigre de Jdanov que les épices puissantes de Wilhelm Reich.

......Oui, j 'écris Eros au féminin et je proclame la supériorité de l'Histoire sur la Nature. Oui, je voue aux gémonies Thanatos mâle guerrier et suicidaire qui se soumet à cette même nature au nom de la fatalité mortelle qu'il incarne, mais si je restitue sa fonction à la femme-amante, à la femme amoureuse, à la mère - si elle veut - à la fille - si elle le préfère - ce n'est pas pour réaliser la propriété phallocrate mais pour donner son vrai sexe à la liberté.

......Liberté femme, liberté sans classes, sans bleus de chauffe et sans robes de cocktail, liberté nue d'un sexe en érection dans mon creux, mon humidité femelle, ma touffeur heureuse, mon clitoris-pénis, ma pointe hermaphrodite, mon plaisir imaginé, voulu, gagné contre les pesanteurs de l'argent et de la misère.

 

Emmanuelle Arsan (Emmanuelle, n°11, août 1975, p. 5).