Heureux de leur bonheur

......Pour moi, le plaisir est une liberté, mais aussi une règle. C'est lui qui éclaire ma maison et détermine le plus souvent ma morale et ma conduite.

Quand petite fille j'ai découvert la joie que tirait mon corps de mes propres caresses, j'en ai aussitôt déduit que d'autres petites filles connaissaient cette même joie. J'ai voulu la partager d'abord avec elles parce qu'elles étaient, à mes yeux, d'autres moi-même. C'est ainsi que je suis devenue ce que, sans doute, on pourrait appeler une lesbienne, ou encore une homosexuelle. J'avoue n'avoir jamais très bien compris le caractère restrictif de ces épithètes.

C'est peut-être cette vision personnelle qui a cultivé mon regard quand j'ai rencontré ceux que l'on enferme dans les mots pédéraste, homosexuel, lesbienne comme dans les barbelés d'un camp de concentration. Or, tout simplement parce qu'ils ne présentaient aucun caractère particulier, je les ai jugés suivant mes normes.

......J'ai connu quelques homosexuels libérés, ils avaient le même calme ou la même violence, la même intelligence ou la même niaiserie que les " normaux ". Parmi mes meilleurs amis, je compte des homosexuels, hommes ou femmes, qui n'envisagent que cette forme d'union. Il m'est très facile de me mettre à leur place, bien que l'amour soit trop vaste pour être enfermé dans n'importe quel couple.

......Les bien-portants, les bien-pensants qui condamnent les homosexuels, hommes fiers de leur virilité ou femmes pelotonnées dans leur féminité, sont tous des geôliers. Cette oppression-là, comme toutes les autres, nous devons nous en débarrasser. Et nous découvrirons ainsi que c'est toujours une image de nous que nous cherchons au fond des yeux de notre amant.

......Que feriez-vous si votre fille ou votre fils était homosexuel ? Tant que vous ne répondrez pas à cette question : " Je serai heureux de leur bonheur ", vous resterez une sorte de raciste qui, au nom de pseudo-lois biologiques ou d'un conformisme religieux et social sans fondement, condamne la seule supériorité humaine, dans l'ordre universel, celle de choisir librement son destin.

Emmanuelle Arsan (Emmanuelle, n°3, décembre 1974, p. 3.)