Ces amours-là

......J'avais dix-huit ans, je n'étais pas encore Emmanuelle Arsan. J'étais moi. Ce qu'est une jeune fille de dix-huit ans, un espoir, un doute.

...... Lui, c'était Xavier. Il avait quarante-huit ans. Deux heures après notre arrivée dans sa maison de campagne, j'étais dans son lit ou lui dans le mien, je ne me rappelle plus bien. Je me souviens davantage de cette merveilleuse odeur d'herbes et de confiture qui est au cœur de toutes les maisons de campagne françaises et qui, pour moi, orientale toute neuve, était l'odeur même de la France.

......Mais il n'y avais pas que lui. Il y avait elle également. Elle, c'était Julie. Elle avait quarante ans et il lui tressait des guirlandes de pâquerettes.

...... En les voyant s'embrasser devant moi sur la pelouse, j'ai eu honte. Comment Xavier l'a-t-il deviné ? Cela importe peu. Julie a couru à moi et m'a embrassée comme elle venait d'embrasser devant moi son mari : " Grande bête, je t'aime aussi ", m'a-t-elle dit au moment où ses lèvres abandonnaient les miennes. </p> ......Et ce soir-là, nous avons dormi tous trois ensemble après nous être aimés. Inextricablement, inévitablement, heureusement.

......Huit jours plus tard, je partais. Moi qui aurais voulu devenir leur maîtresse, leur amie, en un mot les épouser

......Oui, je sais, ces amours-là ne durent pas. Si j'étais restée, quelque chose se serait cassée entre l'un de nous trois. L'un de nous trois aurait été jaloux. Je sais. Mais je sais que c'est dans cette jalousie, dans cette cassure qu'aurait été l'erreur et non dans notre amour, dans ce partage de la certitude conjugale et de l'innocence passionnée du plaisir.

Emmanuelle Arsan (Emmanuelle, n°5, février 1975, p. 3).